La Belle et la Bête

Panna a netvor, de Juraj Herz, 1978, Tchécoslovaquie


Une caravane de marchands se fraye un chemin dans la forêt embrumée, luttant contre la végétation, le sol où s'embourbent les chariots. Embusqués, des brigands sans pitié... et, plus profondément dans la forêt, une silhouette, une créature sans nom, effroyable...



Adaptation tchèque de la Belle et la Bête, le film trouve un angle personnel et se démarque sans peine du chef-d'œuvre de Cocteau.
Le contexte n'y est pas étranger : situé dans les limbes d'un moyen-âge froid et obscur, proche des peintures de Bruegel et Bosh, il est plus propice à la violence et l'effroi qu'au candide émerveillement et à la poésie nocturne.
Dès les premières minutes, le film installe un décorum horrifique stupéfiant : arbres griffus noyés dans le brouillard, ruines d'un château abandonné, marais putrides... et une musique d'orgue, funèbre à vous glacer le sang.



La Mort et le Diable arpentent le monde, la peur est palpable sur le visage des personnages.
Rares sont les films qui ont su retranscrire avec une telle force cette ambiance de fin des temps qui hantait les esprits à cette époque. C'est un monde fatigué, en proie aux ténèbres et au froid, qui bascule sans peine dans l'irrationnel.

La beauté du film, c'est que ce basculement s'opère par l'entremise du son.
Probablement en grande partie post-synchronisé, non réaliste, il met en place un univers complètement fantasmagorique, en parfait contrepoint des images très réalistes et de la reconstitution historique soignée.
Peu de sons trouent le silence, sélectionnés avec soin, amplifiés. Ils résonnent comme dans une cave.
Le galop d'un cheval que l'on ne voit pas. Plus tard, le cri des corbeaux. Puis des pas sur un dallage.
L'étrangeté devient palpable et le fantastique fait irruption avant même son entrée dans le champ.



La Bête rode.
Elle n'est pas féline et altière, comme chez Cocteau. C'est un résidu, mélange de plusieurs races, dernier de la lignée d'une monstrueuse famille (voir la scène effrayante et mystérieuse de la galerie des portraits en bas de cet article), restée seule à habiter le grand château en ruine.
Créature malade, en partie homme, animal et oiseau, la Bête est l'une des grandes réussites du film. Son maquillage et son costume sont fascinants.

Le film est à l'image de sa créature tiraillée entre ses pulsions bestiales et son amour de la belle : il va et vient entre horreur et romantisme, réalisme et onirisme, dans un clair obscur qui joue sur les extrêmes.
Parfois très sombre et désespéré, parfois éblouissant de lumière.



L'équilibre est toutefois compromis car la lumière y est teintée d'illusion. Pourtant, elle semble protégée des griffes cruelles du réel, le temps du film.
Car tout ceci n'est qu'un conte.
Et, nous le savons, dans la réalité, la Bête a mangé la Belle.

L'Œil

En bonus, une scène du film : la galerie des portraits.

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