Elmer le remue méninges

Brain damage , de Frank Henenlotter (1988)

Quand j'étais petite, j'allais souvent chez deux amies dont le père détenait une collection incroyable de films de série B. Nous n'y avions pas accès mais, dès que celui-ci s'absentait, les filles se ruaient sur la bibliothèque de VHS et s'amusaient à regarder ce qui leur passait sous la main. J'étais assez curieuse de savoir ce que contenaient ces boitiers aux jaquettes complètement déjantées. Celle qui m'est le plus restée en mémoire est certainement celle de Brain Damage que je connaissais à l'époque sous le titre français : Elmer, le remue méninge.
Avec un nom pareil et une jaquette aussi délirante, ça ne pouvait qu'être amusant à regarder. Et pourtant, il m' était resté un sentiment très noir des quelques scènes que je me remémorais.

Près de 14 ans plus tard, je décide de visionner à nouveau le film. Et là, c'est une révélation. De nombreuses critiques considèrent Brain Damage comme un film fun et trash... Pourtant, ces adjectifs ne suffisent selon moi absolument pas à définir le travail de l'ambitieux réalisateur Frank Henenlotter.

Brian se réveille un jour avec de terribles maux de tête, des hallucinations et un trou dans la nuque. Heureusement, ce n'est qu'Elmer, cette marionnette de forme phallique aux airs d'intellectuel, qui vient d'élire domicile dans le corps du jeune héros. Elmer propose à Brian (a-t-il seulement le choix?) une nouvelle vie emplie de musique et de couleurs. Brian est comblé dans un premier temps et il lui semble qu'il redécouvre le monde à chaque fois qu'Elmer lui injecte cet espèce de liquide bleu qui stimule le cerveau.
Les choses se gâtent quand il comprend que la bestiole se nourrit de cerveaux humains et profite des "absences euphoriques" du jeune garçon pour tuer les gens qui l'entourent.
Malheureusement tout le monde sait combien il est difficile de se sevrer d'une drogue et Brian ne peut plus vivre sans Elmer.
Alors il tente tant bien que mal de s'éloigner de ses proches pour ne pas les exposer au danger...

Pour avoir vu quelques films de Frank Henenlotter, je crois pouvoir affirmer, sans prendre trop de risques, qu'il affectionne particulièrement les éclairages bleu et rose/rouge. "Pourquoi commencer par ce détail ?" me demanderez-vous. Imaginez un instant un film constamment baigné de ces deux couleurs... on finit par étouffer. Aucune lumière naturelle dans Brain damage; l'histoire se déroule toujours de nuit comme s'il n'y avait aucun échappatoire pour notre jeune drogué avant même l'arrivée d'Elmer. On comprend que le personnage est mal barré dès sa première apparition, couché dans sa chambre complètement bleue, comme un aquarium. Celle-ci se remplit même d'une eau colorée en bleu, dans la séquence du premier trip du héros. D'autre part, les plans se resserrent constamment, venant accentuer cette atmosphère de confinement.

Frank Henenlotter aime les gros plans. Attention ! Je ne parle pas de ces gros plans à but unique de concentrer le spectateur sur le discours du personnage. Au contraire, il s'agit de plans rapprochés sur le visage inexpressif du personnage, sans dialogue, permettant d'observer tantôt le vide existentiel dans lequel il se trouve, tantôt ses frémissements de plaisir sous l'effet des injections. Et je peux vous dire que c'est sacrément efficace ! Non pas que le jeu d'acteur soit incomparable mais cette façon de s'éterniser sur son visage pris de sensations fortes nous force à imaginer le ressenti... Cela joue beaucoup sur l'originalité du film qui est l'un des rares à véritablement nous transporter dans les jouissances de la drogue avant de nous en montrer les revers.

Si dans un premier temps, nous sommes séduits par une sorte de sensualité omniprésente (rappelons nous le premier trip de Brian : la scène de la chambre se remplissant d'eau, sur un fond de musique psychédélique incroyablement calme, nous plonge dans une ambiance très sensuelle malgré l'inquiétude qu'elle provoque), petit à petit, le film mène sur une sexualité exacerbée. Cela débute avec les injections d'Elmer (le ver à forme phallique) qui sont comme une masturbation ; puis, au sommet de l'extase : la scène de la fille de la boîte de nuit qui fait une fellation à notre jeune héros dont les parties intimes ne sont autres que le joyeux Elmer affamé !

Vous l'aurez compris, Frank Henenlotter ne prend pas de pincettes et pousse au maximum le trash, le gore et le sexe. Les décors du film (bas quartiers new-yorkais des années 80) contribuent à dégoûter le spectateur et à instaurer une ambiance inquiétante : par exemple, après être allé au restaurant chic avec sa copine, pour mettre les choses au clair (occasion manquée), Brian se voit contraint de quitter la table précipitamment parce qu'il est en manque de "liquide bleu". Un long traveling latéral sur les trottoirs de la ville (de nuit évidement) suit le héros qui se dirige au pas de course vers les quartier chauds. C'est comme une descente aux enfers confirmée par le nom de la boîte de nuit dans laquelle il entre: Hell
Autre scène marquante : le cimetière des voitures ( oui oui, la même décharge que l'on peut voir dans Street trash de Jim Muro qui a travaillé avec Henenlotter sur Brain Damage )
Brian, pris d'hallucinations lumineuses et colorées, se promène entre les carcasses, saute et les escalade. Les empilements et tunnels de voitures sont filmés avec rapidité, la caméra poursuivant le personnage dans le dédale. La scène est à la fois oppressante et forte en sensations. Encore une fois, la musique si particulière colle parfaitement avec ces deux ressentis.

La dimension psychédélique n'est pas uniquement contenue dans l'histoire. Pour reparler du premier trip : rien n'est dit, on ne sait pas d'où ça vient, c'est lent, on se contente de le vivre. Tout le long du film, on ressent les effets de la drogue à travers les délires visuels (surimpressions, filtres de couleur... ) , ses effet séduisants (perte de repères et sexualité sont enivrants).

Puis on vit de plus en plus mal le confinement, au début si confortable. On ressent du dégoût en découvrant la saleté dans laquelle se retrouve le personnage (magnifique scène de la chambre d'hôtel complètement délabrée où le héros tente une désintoxication). Le dernier trip du héros est complètement sordide : le décor est simplement noir, plus aucun repère, Brian est nu, son corps couvert de ventouses, comme un monstre, et il dévore lui-même la cervelle de sa copine.

Il y aurait encore beaucoup à dire sur le film et ses expérimentations (réussies) mais j'en ai déjà trop dévoilé. A vous de découvrir le reste...

La Vitre

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